« Le conte, l’éducation et la citoyenneté » par Wilfried Delahaie

Pourquoi raconter des histoires s’inscrit-il dans ce mouvement de politique culturelle de “l’infusion”?

Infuser dans le sens de prendre le temps que la matière s’imprègne.

La politique de la démocratie culturelle voit naître un modèle passant (sans disparaître) du triptyque:

Création, Diffusion, Médiation, vers:

Création, Infusion, Partage;  défendu par Jean Gabriel Carasso.

Ce modèle quitte définitivement le consumérisme où la quantité est un facteur de qualité tout en restant accessible à tous.

Les nombreuses expériences déjà présentes, d’éducation populaire par exemple, montrent comment des ateliers de pratique font le lien entre Agir  (avoir une pratique) et Eprouver (voir l’œuvre). Il permet l’ouverture au : “Réfléchir” et d’apporter connaissance et référence.

Raconter des histoires, fait le va-et-vient entre : agir et éprouver. Il apporte en plus le partage.

Celui qui raconte est sur le même pied d’égalité que celui qui écoute dans un principe de communication.

L’échange se fait à partir du souvenir de l’histoire. Celui qui raconte, décrit ce qu’il voit de son souvenir. Il met en parole les images mentales (il éprouve et agit).

L’ensemble du groupe se fait une représentation (images mentales), dans une créativité qui lui est propre et reliée à ses émotions (comme le conteur, il agit et éprouve).

 

La mise en place de ces projets, a permis de mesurer cet accompagnement de l’évolution du citoyen (tous les 15 jours sur trois ans).

Cette relation installe en profondeur un ancrage où liberté de pensée et critique se côtoient à l’intérieur de soi et dans le partage.

L’histoire doit être racontée (non lue) car elle est le sujet de l’échange et de la communication.

Les réactions individuelles et collectives du groupe permettent cette communication.

On ne peut pas se raconter un souvenir tout seul. Le conteur prépare son histoire en la rêvant pour qu’elle devienne un vécu à partager. Par exemple, après avoir lu une histoire, il cherche à la placer dans sa mémoire en “traversant” l’histoire. C’est-à-dire, visualiser les lieux et les personnages, avoir des sensations et des émotions.

Il offre ensuite son imagination au groupe.

 

Pourquoi la Littérature Orale n’est pas qu’une discipline supplémentaire ?

Elle n’est pas seulement une transmission de savoirs de textes fondateurs (mythe, épopée, légende, … etc … de connaissances traditionnelles : sur les plantes, l’histoire, le langage…).

Elle est une expérience pratique, elle met en action chaque personne (écoute active et polysémique).

Bien sûr, le conte(nu) véhicule des codes de société, ancrés sur le territoire,

et plus largement, des structures universelles pour vivre en société.

Comme par exemple :

  • Les histoires à rire qui sont toutes des sujets à réflexion, tels que les limites du bien savoir-vivre et ses débordements facétieux.
  •  Les contes merveilleux avec leur fin heureuse, qui ouvrent les problématiques intérieures dans une expérience mise en distance. Les émotions ainsi vécues apportent un sentiment de satisfaction de réussite en fin d’histoire (valorise et donne l’exemple).
  • Le conte du petit poucet et sa version catalane “Patufet” (à partir de 5 ans) et son retour à la maison en fin d’histoire (dépassement de la peur).
  • Ou nos classiques Cendrillon, Peau d’âne, etc… pour les plus grands.

 

Mais au-delà du contenu, le conte est surtout un contenant.

Le conte est un cadre, où l’on y dépose ses émotions, il devient un médiateur.

Pour cela l’histoire ne peut être figée dans un livre.

Si l’histoire est dans le livre, le livre contient l’histoire. Et l’histoire ne peut être le va-et-vient de l’échange.

Le conte(nant) doit être proche pour que l’appropriation se fasse. C’est l’histoire qui est le contenant. Elle permet à la structure cérébrale (mémoire, création,…) d’être en action.

Si le raconteur n’a pas la connaissance de l’histoire (l’histoire est dans le livre que l’on lit à voix haute), le groupe n’a pas de raison de s’investir.

L’histoire ne peut être un contenant où l’on va avoir une expérience et y déposer une émotion.

Le conte est une pratique individuelle qui nous transforme.

Il est une nouvelle expérience de vie et de vécu intérieur.

Permettre à l’élève de s’élever :

Pratique du conte dans la formation du professeur et autres professionnels

L’objectif est de raconter une histoire en toute simplicité, avec ses mots, ses hésitations et même ses erreurs sur le souvenir de l’histoire.

L’histoire racontée, peut être lue 5 minutes avant et sans préparation, mais avec le plaisir de l’échange. Cette pratique introduit le “care”.

Déjà on dépasse le domaine de la connaissance transmise pour aller vers une humanité.

Et ainsi Agir, Eprouver, Réfléchir et Bien-être sont liés.

Dans une histoire, le professionnel dévoile une part de sa personnalité, de son intimité, de son humanité. Sans pour autant enlever le voile de la pudeur car l’histoire n’est pas la sienne.

Le professionnel se rapproche des autres participants jusqu’à se mêler à eux (cercle), pour être ensemble avec l’histoire. C’est la différence entre Etre avec l’histoire et avoir une histoire.

 

Le contrat passé est le partage : être avec la personne, communiquer, partager les émotions même quand la personne n’a pas la capacité de compréhension, elle est avec nous, citoyenne, acceptée dans sa différence.

C’est aussi cela l’éducation par l’art et non l’éducation de l’art.

Jean Claude Carrière dit “la connaissance c’est le savoir transformé en expérience de vie.”

Pour un professionnel, la pédagogie active est une pratique personnelle qui permet de quitter l’animation et la formation pour l’échange et la transmission.

 

Le conte est par sa pratique un outil pouvant répondre aux objectifs de l’estime de soi et de la formation du citoyen dans l’éducation.